Signalé par REZO
http://institut.fsu.fr/nvxregards/34/bouveresse.htm
Propos recueillis par Evelyne Rognon et Régine Tassi
Philosophe réaliste, éminent spécialiste de Wittgenstein et de la philosophie analytique, Jacques Bouveresse est aussi connu
pour des ouvrages critiques sur les impostures scientifiques et intellectuelles. Il est professeur au Collège de France où il occupe la chaire de philosophie du langage et de la
connaissance.
Nouveaux Regards : Nous souhaiterions, si vous le voulez bien, connaître l'état de vos réflexions et de vos travaux en matière philosophique, mais également vous interroger sur les problèmes d'actualité politique et sociale. En particulier, qu'en est-il, selon vous, des rapports entre le politique, les intellectuels et le pouvoir médiatique ?
Jacques Bouveresse : Je viens de publier un article sur la question des médias et des intellectuels dans Le Monde diplomatique de mai dernier. J'en suis arrivé, je l'avoue, à un état assez voisin de lad épression vis-à-vis du monde intellectuel.
Sur les incendies des immeubles vétustes où étaient entassées des familles immigrées, sur la crise des banlieues, sur les mobilisations contre le CPE, nous n'avons pas entendu ou lu la moindre réaction de nos grandes têtes pensantes ; pas une n'a réagi. Autrement dit, la question sociale a disparu. C'est bien ce que Bourdieu avait prévu dans les dernière années de sa vie. Nous en parlions souvent.
La philosophie morale s'est complètement substituée à la philosophie sociale. Vous remarquerez que les livres qui se vendent se situent dans le registre « apprendre à vivre », comme ceux de notre illustre ex-ministre Luc Ferry. Vous remarquerez aussi la façon dont Alain Finkelkraut s'est exprimé sur le problème des banlieues, ou Hélène Carrère d'Encausse. Ce que nous avons entendu m'a semblé, dans leur cas, positivement honteux ; mais cela ne scandalise plus vraiment, parce que la prédication morale remplace d eplus en plus la réflexion sur le social.
Pour ce qui concerne la relation du monde politique et médiatique avec les intellectuels, le phénomène BHL m'intéresse depuis longtemps. Il y a d'ailleurs aussi la question des relations du monde politique avec les intellectuels. Les politiques sont tous béats d'admiration devant Bernard-Henri Lévy. J'ai lu le livre que Nicolas Beau et Olivier Toscer lui ont consacré 1. On y trouve une citation assez incroyable de Bernard Kouchner qui aurait dit : « Oh BHL, on savait depuis le début que c'était du toc, et qu'on a laissé faire. L'idéologie française, c'est aussi ça, parfois : conforter les intellectuels, même quand ils barbotent dans l'approximation et l'erreur.». J'ai trouvé ces propos effarants. Cela revient en gros à dire que, à tout prendre, mieux vaut passer pour des cyniques que pour des gogos. Les politiciens n'ont tenu aucun compte de ce qu'ont dit des gens sérieux et informés (comme par exemple Pierre Vidal-Naquet ) à propos de certains des livres de BHL. On n'est arrivé à rien, et en partie à cause de l'attitude du monde politique qui se prosterne devant la célébrité, alors qu'il ignore totalement les représentants de l'université lorsqu'ils essaient de dire « non ». Contre ce genre de chose, les arguments ne pèsent à peu près rien.