our la première fois, un président de la République se rend à l'Université d'été du Medef. Est-ce le signe d'un changement fondamental d'attitude du
politique vis-à-vis des entreprises ?
Nicolas Sarkozy montre qu'il est de l'intérêt de la France et des Français de réfléchir et d'agir avec les entreprises. Je souhaite que ce mouvement
se décline le plus largement possible. Notre pays se portera beaucoup mieux le jour où chacun de nous comprendra l'intérêt de travailler avec l'entreprise.
Alors que la France accumule les déficits commerciaux, comment évaluez-vous la compétitivité française ?
Si nous voulons retrouver une bonne santé économique nationale, il faut se poser la question de la santé des entreprises. Or elles supportent les
prélèvements obligatoires les plus élevés au monde et elles ont vu leur taux de marge baisser significativement depuis dix ans. Il est inférieur à celui de la zone euro, et à celui des
entreprises allemandes de près de dix points. Comment redonner de l'air aux entreprises françaises ? En promouvant une politique de l'offre et en cessant de raisonner seulement à partir de
la demande. Ce serait LA révolution stratégique.
Plus précisément ?
Depuis des décennies, la France joue un tiercé perdant. Entre 2000 et 2007, la consommation des ménages a progressé de 19%, les importations de 57%
mais la production n'a augmenté que de 8%. Tant que nous n'aurons pas une politique qui stimule la production, nous n'aurons pas de croissance élevée et pérenne.
Est-ce une critique implicite des premières mesures prises cet été qui favorisent la demande et la consommation ?
Je ne pense pas qu'on puisse faire un bilan définitif au bout de 100 jours, je ne suis pas dans des fantasmes napoléoniens. Le président de la
République met la France en mouvement, au niveau de la vitesse du monde. Son premier acte majeur a été la composition de son gouvernement. Je dis "génial !". C'est un coup de
jeune, de parité, de diversité des origines et des talents. Nous disons bravo à la réforme sur l'université, à la réforme sur l'impôt de recherche, à la possibilité de déduire du montant de
l'ISF ce qui est investi dans les PME, bravo aussi au moindre coût des heures supplémentaires. Mais nous voulons également faire comprendre et accepter à l'ensemble des français ce qu'est une
politique économique de l'offre.
A vous entendre, au choc fiscal de relance, vous préférez l'austérité allemande, qui a porté ses fruits depuis dix ans ?
Je ne parle pas d'austérité. Il était trop facile de penser la politique économique en mettant le consommateur au centre. Cette pensée nous a
conduits à l'impasse : perte de compétitivité, faible progression du pouvoir d'achat et accroissement de la dette publique.
De nouveau, le gouvernement allemand a choisi de revenir rapidement, dès cette année, à l'équilibre tandis que Nicolas Sarkozy a repoussé cet
objectif de 2010 à 2012. Est-ce aller dans la bonne direction ?
On avance. Le président de la République a fixé un tableau de marche. Faisons en sorte d'aboutir.
Vous semblez tout attendre de l'Etat ?
Non. Je suis persuadée que les Français détiennent une partie du succès de la croissance. Une politique de l'offre, cela concerne le gouvernement,
mais aussi les partenaires sociaux, lorsque leurs négociations portent sur le marché du travail. Parmi les réformes dans lesquelles nous sommes engagés, il y a la fusion opérationnelle
ANPE-Unedic. Il faut aussi relever progressivement l'âge légal de la retraite à 61 ans puis à 62 ans et allonger le nombre d'années de cotisations. Nous devons avoir ces discussions avant la
fin de l'année.
Etes-vous favorable à un contrat de travail unique ?
L'employeur a besoin de moins d'incertitude sur le coût du licenciement et la durée d'une éventuelle procédure. Il faut expliquer un paradoxe
apparent : on embauchera plus s'il est moins compliqué de licencier. Nous proposons de conserver les protections existantes mais d'envisager une option supplémentaire, la séparation d'un
commun accord, qui inclut bien sûr le droit du salarié à l'indemnisation chômage. Chacun y trouverait son compte bien mieux que dans la logique du conflit actuelle.
Espérez-vous boucler cette négociation avec les syndicats d'ici à la fin de l'année selon l'échéance fixée par le
gouvernement ?
Cette réforme du marché du travail, c'est l'occasion ou jamais que plus personne ne fasse le choix du chômage. Elle est essentielle aussi pour la
crédibilité des syndicats. A eux de montrer leur sens des responsabilités. Si nous parvenons à un accord, nous serons entrés dans une véritable ère de démocratie
participative.
Souhaitez-vous toujours que soit inscrit dans la constitution le droit à la négociation ?
Oui, nous l'avons dit dans une lettre adressée à Edouard Balladur, président du comité pour la révision de la constitution. Nous voulons que les
accords entre patronat et syndicats aient une valeur identique à la loi. Nous demandons aussi l'inscription de la liberté d'entreprendre, comme en Espagne. La révolution stratégique passe par
là.
Avec même valeur constitutionnelle que le droit de grève ?
Exactement. Et il faudrait aussi inscrire le droit du contribuable à une fiscalité juste, non confiscatoire, non rétroactive, limitant son impôt
total à 50% du revenu : comme en Allemagne.
Etes-vous favorable à la mise en place d'une TVA sociale ?
En 2000, le coût du travail était à l'indice 100 en France et en Allemagne. Aujourd'hui, il est à 103 en France, et à 87 Outre-Rhin. Pour réduire
cet écart, les entreprises ont besoin d'une fiscalité compétitive. Soit on se concentre sur la fiscalité pure et l'on va jusqu'au bout de la réforme de la Taxe professionnelle, soit on allège
les charges sociales pesant sur les entreprises. Dans ce cadre, une TVA dite sociale pourrait être une piste.
Au bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy, n'auriez vous pas préféré une réduction très forte, plus simple, de l'ISF ?
La suppression de l'ISF relancerait notre économie. Elle aurait un effet majeur sur certains Français qui hésitent à investir en France, et plus
largement sur l'attractivité de notre territoire. Mais je n'en ai jamais fait une priorité, alors qu'il était pour moi essentiel que la détention d'actions dans les PME ne soit pas dans
l'assiette fiscale de l'ISF. La réforme votée cet été va dans ce sens. On peut aller plus loin en allégeant la fiscalité des Business Angels [particuliers fortunés qui investissent dans les
entreprises innovantes] trop peu nombreux en France. Aujourd'hui, le plafond de déduction fiscale pour ces investissements dans les entreprises ou projets innovants est fixé à 25 % de 40 000
euros, contre 40 % de 300 000 euros en Angleterre. Nous proposons de porter ce plafond à 40% de 500 000 euros, et là nous devenons compétitifs.
Nous souhaitons aussi que l'impôt sur les sociétés à taux réduit pour les PME (15 %) concerne les PME de moins de 10 millions d'euros de chiffre
d'affaires et dans la limite de 100 000 euros de bénéfice net, contre 7,6 millions et 38 000 euros actuellement.
Ne craignez-vous pas que Nicolas Sarkozy défende trop les agriculteurs à l'OMC et oublie les atouts des entreprises ?
Attention en effet à ne pas pénaliser nos PME, notamment dans l'industrie. Elles ont besoin d'un succès des négociations à l'OMC et d'un accord
multilatéral. L'inverse, qui se traduirait par des accords bilatéraux, les pénaliserait.
L'échelon européen existe-t-il encore ? Etes-vous favorable à la limitation des directives ?
Le président Barroso a engagé un programme de meilleure régulation dont nous gagnerions à nous inspirer en France. Nous en sommes aujourd'hui à des
empilements illisibles de réglements, de lois et de directives européennes. La priorité est à la simplification et à l'harmonisation plutôt qu'à de nouvelles directives. Cela ne veut pas dire
que la commission ne doive pas agir. Je pense au problème nouveau posé par les fonds d'Etat, notamment d'origine russe ou chinoise.
Comment réagissez-vous à la découverte d'un engin incendiaire sur le campus d'HEC où doit se tenir votre
université ?
Je voudrais faire part de mon indignation, dire combien il est choquant qu'on cherche à empêcher une manifestation où règne la plus grande liberté
d'expression qui soit. Nous dérangeons. Depuis deux ans que j'assume la présidence du Medef, je fais tout pour conduire notre propre révolution, donner tous les signes d'ouverture possible,
pour dire stop aux haines et aux conflits. Quand on annonce la fin des haines, cela atise chez certains des résurgences de la haine.
Qui a pu faire cela ?
Seule l'enquête pourra le dire. Mais je mets en garde contre un pseudo-romantisme politique très dangereux. Alors qu'il se passe enfin des choses en
France ! Nous sommes très nombreux à vouloir que ça change, et à nous réjouir que des équipes qui n'en avaient pas l'habitude travaillent ensemble au service de l'intérêt général. C'est mon
idéal et je n'y renoncerai pas.
Cet entretien avec Laurence Parisot, présidente du Medef, sera publié dans Le Monde daté du jeudi 30 août
2007.